Un été immobile, de Claude Donnay

Ce roman est paru en 2018, chez l’éditeur MEO, c’est dire qu’il est bien connu, d’autant plus qu’il a remporté le prix Mon’s livre l’année suivante. Vous me pardonnerez de le découvrir si tard, mais il n’est jamais trop tard paraît-il…

Un beau livre, telle est l’impression que l’on ressent avant même de l’avoir ouvert. La couverture bleue de Prusse, dans les tons du tableau « Baigneuse » du peintre Léon Spilliaert (né à Ostende et mort à Bruxelles en 1846) qui illustre la première de couverture, et donne d’emblée le ton du livre.

Pour son roman, l’auteur a choisi de vrais décors, comme un cinéaste. Ambleteuse existe bien, petit village au bord de la Manche, dans le pas de Calais, près de Boulogne. Et il y a bien un vieux fort entouré par la mer, visible de la côte. On comprend que Noël, ou plutôt Jésus, puisque c’est ainsi qu’on l’appelle, ait choisi cet endroit pour écrire. Il loge chez Mireille, la bouquiniste qui tient la petite librairie-bibliothèque du village, et de temps en temps fait un aller-retour à Bruxelles, histoire de faire prendre patience à son éditeur, Jason. Jésus goûte la bonne cuisine de Mireille, mais apprécie aussi les charmes de cette sémillante sexagénaire… Mais depuis quelques jours, Noël Ferlant a bien du mal à écrire, depuis qu’il a remarqué cette baigneuse qui nage tous les jours jusqu’à la bouée jaune.

« Un matin d’été, de mer tranquille et de peau salée, suspendu dans un triangle parfait. Ciel – mer – sable. Trois grâces qui enserrent la jeune femme aux yeux clos, aux lèvres ouvertes sur un souffle ».

Dans ces premières pages, empreintes de calme et de poésie (Claude Donnay est aussi le fondateur de la revue et des éditions Bleu d’encre, consacrées à la poésie) , on s’observe, de loin. Amelle, c’est le nom de la mystérieuse baigneuse a repéré elle aussi l’homme au ciré orange qui l’observe dans ses jumelles. Un voyeur, un curieux, ou un admirateur ?

« l’homme est assis sur la dune, près d’une touffe d’oyats, les yeux biens à l’abri dans l’obscurité des verres, comme tous les matins depuis qu’Amelle a commencé à se baigner ».

C’est finalement elle qui fait les premiers pas ( dans le sable !) et aborde Noël. Une relation se noue, plutôt lâche, puisque le jeune homme continue d’habiter chez la belle Mireille, jusqu’à ce qu’un beau jour, Amelle disparaisse. On l’a vue monter dans une grosse voiture de marque italienne, conduite par un homme aux tempes argentées… le redoutable docteur Eli Berger.

Amelle a oublié (?) derrière elle des carnets, le journal de sa mère, Maria Zabatto, fille d’immigrés espagnols, fuyant l’Espagne franquiste. Noël se plonge dans cette lecture, espérant y trouver un indice qui le mettrait sur la piste de la jeune femme disparue. Cette lecture, roman à l’intérieur du roman, où Jésus découvre la passion trouble de Maria pour Erika, son triste sort d’épouse d’un pervers narcissique, et la cruauté d’une belle mère dure et hautaine, va effectivement lui ouvrir la porte de l’âme de la jeune femme, en le renseignant sur son enfance.

Mais n’anticipons pas. Si la première partie du livre est empreinte du calme de la lecture et de la nonchalance de la plage, la seconde partie nous plonge dans l’action et dans les passions. Nous y suivons Jésus-Noël et Mireille dans une expédition dans le massif central pour arracher Amelle aux griffes du docteur Eli Berger. Mais Amelle souhaite-t-elle vraiment quitter cette clinique psychiatrique où elle est internée, ou bien prend-elle du plaisir à participer aux soirées spéciales qui se déroulent dans la villa du directeur ? Et Jésus, qui va jusqu’à se réfugier entre les cuisses « maternelles » de Mireille, souhaite-t-il vraiment la retrouver ou bien craint-il ce qu’il pourrait advenir  ? Je ne vous en dirais pas plus, inutile de spoiler, comme disent les jeunes, mais ces dernières pages recèlent bien des surprises ! « Amelle a déplié ses longues jambes et s’est dirigée vers la porte en prenant soin de balancer ses fesses comme un mannequin en défilé… »

Parmi les sujets plus graves abordés dans le roman, on trouve le sort des réfugiés espagnols après la guerre civile. Claude Donnay doit bien se douter que la Belgique n’a pas été leur destination première (Ce pays occupé et administré par un Gauleiter n’était pas plus sûr que la France) et que la plupart sont restés dans le sud de la France, ou la « Retirada » amène en 1939 un flot de 450 000 personnes (rien à voir avec ce qu’a pu recevoir la Belgique… ) et notamment dans les Alpes. L’auteur parle à ce propos de « La hargne des français »… Qu’il me soit tout de même permis, à la fin de cette recension d’évoquer les membres du parti communiste, entré dans la clandestinité en 1940, et les réseaux FTP qui ont souvent fait de leur mieux pour les aider. Dans les Hautes Alpes, on évalue à plus d’une centaine de combattants espagnols le nombre de ceux qui vont rejoindre les rangs de la résistance et continuer la lutte. Ayant discuté de ces sujets, il y a longtemps avec Clément T., ancien du réseau FTP de la région de Briançon, et de l’Argentière, je me suis senti obligé de nuancer ce propos. « La hargne ?», peut-être, mais pas « des français » au sens collectif.

Fin de cette parenthèse, qui n’enlève rien aux qualités du livre. Vous serez sans doute surpris par les rebondissements de la fin du roman et sa conclusion.

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