La lenteur

La lenteur, un thème cher aux écrivains… Que l’on songe par exemple à l’éloge de la lenteur de Paul Morand. Milan Kundera lui a consacré

lenteur

tout un roman, paru en 1995, roman écrit directement en langue française, dans une belle langue, simple et qui coule naturellement, loin des fioritures inutiles. Mais la lenteur dont parle Kundera est assez particulière… Certes, dans les premières pages il se moque de l’automobiliste pressé qui le suit, clignotant allumé, alors qu’il se rend avec son épouse au relais château où il a réservé une nuit, mais  la lenteur qui donne son titre au roman, c’est plutôt celle avec laquelle Madame de  T. et le chevalier font l’amour, dans la nouvelle de Vivian Denon, Point de lendemain, parue en 1777, et qui sous-tend tout le roman.

Le  château, où l’auteur et sa femme Vera ont décidé de passer une nuit est le même que celui ou résidait Madame de T. au dix-huitième siècle, et il héberge aussi un congrès d’entomologistes, où vont se retrouver les personnages contemporains du roman, personnages qui vont  se mélanger à ceux du XVIII ème siècle, car comme l’a compris Véra, ce château est hanté.   Ainsi, Vincent et Julie, dans un coït simulé au bord de la piscine, devant les congressistes, rejouent avec un plaisir exhibitionniste les scènes d’amour que Denon avait placées sous le signe de la discrétion, ce qui permet  au passage à l’auteur de « blasonner », dans la tradition des poètes de la renaissance, le « trou du cul », en l’occurrence ici, celui de Julie, sur lequel Vincent semble faire une fixation. Hélas, comme dans la nouvelle, leur aventure sera sans lendemain, Vincent n’arrivera jamais à retrouver la chambre de JUlie…

Mais, il y a aussi des personnages moins sympathiques : Kundera épingle, à travers le personnage de Berck (le nom est bien choisi), tous les « danseurs », ces spécialistes du politiquement correct et de la bonne cause, n’importe laquelle, pourvu qu’on les voit, qu’on les entende. Des Berck, nous en connaissons tellement aujourd’hui en France, hommes politiques, médecins, responsables d’ONG ou d’associations, chanteurs, animateurs de la TV, écologistes professionnels, tous dotés d’un ego envahissant et prêts à toutes les singeries pour occuper la scène médiatique.   Un seul personnage trouve grâce aux yeux de l’auteur : Madame de T. elle même, qui assume totalement son libertinage, en s’offrant au chevalier, pour détourner les soupçons de son mari de son véritable amant !  Une seule nuit, qui sera sans lendemain… Elle cherche la discrétion, elle n’existe pas pour le regard des autres, mais prend un plaisir authentique à son libertinage. Kundera nous détaille avec raffinement ses approches : « Elle interrompt l’amour au pavillon, sort avec le chevalier, à nouveau elle se promène avec lui… et l’emmène ensuite au château dans un cabinet secret attenant à son appartement….Mais ce n’est pas là qu’ils font l’amour ; comme si Madame de T. voulait empêcher une explosion trop puissante des sens, elle l’entraîne vers la pièce contigüe… C’est là seulement qu’ils font l’amour, longtemps et lentement, jusqu’au petit matin. »

Une leçon de vie, doublée d’une leçon de littérature ! Vivant Denon réhabilité par Kundera remplacera-t-il un jour Choderlos de Laclos ?

 

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